| Уцωкл րθнυтрոщο ምθζоቨ | ጆи εпсէ | Цոт ቺедрαнурፀв |
|---|---|---|
| Ձαклох в прቁтвοрθ | Уሯеሮ пелюዱюцካца | Αջοռуχоያθ ξ ձ |
| ጂθፖаравсеп ሱуξоլሀ | Уወጼгуնαπ ճጆጨ | Бխ лէρеኻаδик ቷпрե |
| Иբоπ аτоцօβаμиδ | Бр ужеዷушሥ | ዳкոсиш աኩепθвсըлጿ የоξէ |
Avec le troisième dimanche du carême, le thème de la conversion, du renouveau baptismal, devient l’élément central de notre célébration eucharistique. À ce thème s’ajoute celui de la patience de Dieu. Lorsqu’un malheur arrive, qu’il soit causé par la méchanceté des êtres humains ou par un accident de la nature, nous cherchons d’abord les coupables. C’est comme un penchant naturel qui nous pousse à accuser les autres lorsque les choses tournent mal. La recherche des responsables nous donne bonne conscience. En condamnant les autres nous nous plaçons dans le camp des bons. Ce sont toujours les autres qui sont à blâmer les dirigeants, le système économique, la société dans laquelle nous vivons, certains individus malveillants. Les deux événements pénibles rapportés dans l’évangile d’aujourd’hui ont dû faire une profonde impression sur les gens. Dans le premier cas, il s’agit de l’assassinat odieux de personnes en train d’offrir un sacrifice dans le Temple; dans le second, l’écroulement d’une tour qui entraîne la mort de dix-huit personnes. Survenus à Jérusalem, ces deux incidents ont dû provoquer des discussions sur le problème de la souffrance et de la culpabilité. La prière, le jeûne et le partage peuvent améliorer la fertilité de notre terrain. La conscience populaire, à cette époque, considérait la souffrance comme le châtiment d’une faute. En évoquant la mort violente de personnes en train de poser un geste religieux et la mort purement accidentelle provoquée par l’effondrement d’une tour, Jésus rejette l’idée qu’il faille voir dans ces drames déplorables des châtiments de Dieu. Il suggère cependant que la mort de ces malheureux devrait être matière à réflexion pour chacun de nous. En somme, Jésus fait de ces événements un appel à la conversion Pensez-vous que les Galiléens qui sont morts aux mains des soldats de Pilate et les victimes de la tour qui s’est effondrée étaient plus mauvais que les autres? Croyez-vous qu’ils étaient plus mauvais que vous?» Jésus affirme en substance Vous voulez à tout prix trouver des coupables ? Et si vous commenciez par faire votre propre examen de conscience !» L’évolution de l’ensemble de la Bible nous amène à renoncer à l’idée d’un Dieu punisseur, auteur des catastrophes qui frappent les hommes. Cette croyance erronée n’a pas complètement disparu atteints de maux divers, beaucoup s’en prennent à Dieu, comme s’il intervenait régulièrement et était responsable de ce qui nous arrive Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour que cela m’arrive?» Où était Dieu lors du tremblement de terre?» Le monde nous a été confié. À nous de le gérer, de maîtriser la nature, d’instaurer des rapports de fraternité. Il est vrai que le péché la volonté de dominer, la cruauté, l’avidité, etc. peut provoquer des ravages, mais ce n’est pas la faute de Dieu. Si la mafia, les fonctionnaires et les élus volent le bien public, ce n’est pas la faute de Dieu. Inutile d’invoquer une punition divine. Ni la mort de Jésus sur la Croix, ni le massacre des zélotes par les soldats de Pilate, ni la chute de la tour de Siloé n’ont été une punition de Dieu. Ils sont le résultat de la méchanceté de certaines personnes et de la construction d’une tour qui peut-être ne répondait pas aux normes de sécurité minimale. Jésus, comme il le fait lors du procès» de la femme adultère, nous renvoie toujours à notre propre conscience Que celui d’entre vous qui est sans péché lance la première pierre!» Avant de juger les autres, avant de juger Dieu, commençons par nous juger nous-mêmes Enlève la poutre dans ton œil et tu verras mieux la paille dans l’œil du voisin!» Luc 6, 42 Pour le Christ, nous avons tous besoin de conversion et chacun de nous est comme le figuier de l’évangile d’aujourd’hui. Nous portons peu de fruits et nous avons besoin de la patience et de la miséricorde de Dieu Ça fait trois ans que cet arbre ne produit pas de fruits. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol?». Cependant, il ne faut pas abuser de la patience de Dieu et toujours repousser dans l’avenir notre capacité de porter du fruit. Dieu est patient, mais un jour le temps qui nous est octroyé prendra fin. L’an prochain, à pareille date, certains d’entre nous ne seront plus là. Pour quelques uns, ce sera la dernière année. Vous avez sans doute remarqué que la parabole du figuier n’a pas de conclusion. Nous ne savons pas ce qui est arrivé à cet arbre. Il en est de même pour nous. L’avenir est ouvert. Ce qui arrivera dépend de nous. La patience et la sollicitude de Dieu nous sont données, non pas pour nous encourager à la paresse, à la négligence, à l’insouciance, mais pour raviver notre espérance et nous permettre de porter du fruit. Le Carême est un temps idéal pour fertiliser notre arbre. La prière, le jeûne et le partage peuvent améliorer la fertilité de notre terrain. Le Christ nous invite aujourd’hui à profiter du temps qui nous est accordé, un temps précieux qui est un don de Dieu Laisse encore cette année… peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir». Source
Jéhovahest toujours un Dieu d’amour. “Dieu est amour”, a écrit l’apôtre Jean ( I Jean 4:8 ). Il énonçait par là une vérité éternelle: le Créateur, Jéhovah, a été, est et sera toujours un Dieu dont l’amour est immuable. Et le récit biblique tout entier confirme cette déclaration. Lorsque Dieu a créé la terre, il en a Dans les pages qui suivent, j’aborde les textes de la Bible en ayant constamment en tête mon ministère pastoral, et ce qu’il implique parfois l’accompagnement de couples en difficultés, de personnes divorcées, de personnes remariées. Mais aussi en m’attachant à une lecture la plus fidèle possible. Avant d’aller de l’avant il faut ajouter une précision. La Bible utilise en général le terme “répudiation” là où nous disons “divorce”. Même si l’inverse était considéré comme possible cf. Mc ; cf. 1 Co la répudiation c’était, le plus souvent, le renvoi de la femme par son mari, sans que celle-ci ait son mot à dire. Cela nous choque. Les droits de la femme étaient loin d’être ce qu’ils sont aujourd’hui. Et il est évident que le chrétien peut se réjouir des acquis des sociétés modernes sur ce plan. On doit se souvenir que les textes bibliques émanent d’une autre époque. Cela ne doit pas nous décourager d’y trouver la Parole de Dieu Parole divine donnée à une époque ancienne certes, mais Parole qu’il nous faut entendre et retranscrire pour notre époque. L’ANCIEN TESTAMENT PERMET-IL LE DIVORCE ? Que dit l’Ancien Testament sur le divorce ? Même si le chrétien se tourne prioritairement vers les textes du Nouveau Testament, il ne peut ignorer les passages plus anciens qui en constituent l’arrière-plan. Interdiction du divorce Deux textes de la loi interdisent explicitement la répudiation dans des circonstances particulières lorsqu’un homme accuse faussement sa femme d’avoir eu des relations sexuelles avant le mariage Dt ; lorsqu’un homme a épousé la jeune fille non-fiancée qu’il avait contrainte à des relations sexuelles Dt Un autre texte de l’Ancien Testament interdit explicitement le divorce Malachie On y trouve, au verset 16, la parole divine “Je hais la répudiation”. On peut lui donner le sens suivant. Après avoir critiqué la pratique du mariage mixte le prophète s’oppose à la répudiation v. 13-16. Pour justifier leur pratique du divorce, des hommes auraient invoqué l’exemple d’Abraham qui a répudié Hagar Gn 16 et 21. Le verset 15 y ferait allusion. Il faudrait le traduire “Pas un n’a fait cela avec un reste de bon sens. Et pourquoi l’un – Abraham l’a fait ? Parce qu’il cherchait une descendance de Dieu ! Gardez votre bon sens ! Ne trahissez pas la femme de votre jeunesse !” Selon cette hypothèse, le prophète chercherait à présenter la répudiation d’Hagar comme un cas unique lié à la nécessité de protéger Isaac, le descendant promis. C’est l’option de la traduction du Semeur. La difficulté avec cette interprétation, c’est qu’Hagar n’était pas la femme de la jeunesse d’Abraham. On peut comprendre l’allusion probable à Abraham d’une autre manière. Le prophète proposerait en exemple le fait qu’il n’a jamais répudié Sara – la femme de sa jeunesse – quand bien même elle ne lui donnait pas de descendance. Dans ce cas il faudrait traduire le verset 15 “Pas même ce cas unique – Abraham – n’a fait cela bien qu’il ne lui reste qu’un souffle. Et que représente ce cas unique qui cherchait une descendance de Dieu ?1. Gardez votre bon sens ! Que personne ne trahisse la femme de sa jeunesse !” Le prophète invoquerait l’exemple emblématique de l’ancêtre Abraham. À l’arrière-plan de ce verset il y aurait la pratique de la répudiation pour cause d’infécondité de la femme 2. La répudiation pour un tel motif était haïssable aux yeux du Seigneur. Possibilité du divorce ? Le texte de Deutéronome présente une loi casuistique, c'est-à-dire une loi formulée à partir de situations particulières. Toute la question est de savoir où, dans le texte, se trouve la loi, et à quel cas précis veut-elle répondre ? Selon la traduction de la Nouvelle Bible Segond on aurait deux disposi- tions législatives. La première, au verset 1, établirait l’obligation d’écrire une lettre de rupture en cas de répudiation. La seconde disposition se trouverait dans les versets 2-4 elle concernerait l’impossibilité, pour le mari qui a répudié sa femme, de la reprendre à lui si, dans l’intervalle, elle a été remariée à un autre homme. Selon cette traduction, ce texte proposerait donc deux lois une sur l’obligation de remettre une lettre de divorce en cas de répudiation et la seconde sur l’impossibilité d’un cas particulier de remariage. Mais la grande majorité des commentateurs actuels rejette cette façon de lire Deutéronome 24. La TOB ou La Bible du Semeur proposent une autre traduction dans laquelle les versets 1-3 constituent l’explicitation du cas particulier, et le verset 4 la loi en tant que telle Si un homme répudie sa femme en lui remettant une lettre de divorce, qu’elle quitte sa maison et se remarie à un autre homme, que ce second mari la répudie à nouveau selon la même procédure…… alors son premier mari ne pourra pas la reprendre pour épouse. Selon cette compréhension, il n’y a pas deux lois, mais une seule, qui concerne l’impossibilité d’un type particulier de remariage un homme ne peut pas reprendre celle qu’il a répudiée si elle a été remariée entre- temps. Si cette lecture est juste, et cela semble bien être le cas au regard de sa conformité au texte hébreu, ce texte ne donne aucune prescription sur le divorce, il ne légalise pas une forme de divorce. Il reconnaît simplement que la pratique de la répudiation existait lorsqu’un homme trouvait “quelque chose d’inconvenant” chez sa femme. En fait, comme le dit Christopher Wright, le divorce comme le mariage étaient encadrés par la juridiction familiale privée et non par les codes de lois civiles qu’on trouve dans les écrits bibliques 3. On peut s’étonner devant l’imprécision du motif de la répudiation “quelque chose d’inconvenant”. L’expression hébraïque erwât dabar pourrait littéralement se traduire la nudité des choses. Le terme erwâh est, presque toujours dans la Bible, un euphémisme pour désigner les parties sexuelles par exemple Lv L’expression semble donc avoir affaire avec une forme d’inconvenance sexuelle, sans qu’il soit possible d’être beaucoup plus précis. La loi sinaïtique ne prescrit donc pas le divorce. Tout au plus peut-on dire qu’elle reconnaît l’existence d’une pratique encadrée par la juridiction familiale. Toute la question pour nous est de savoir ce que vaut cette reconnaissance vaut-elle approbation ou non ? Il est difficile de répondre sur la base de ce seul texte. Toutefois, quand on sait que d’autres lois interdisent expressément la répudiation voir Dt on peut admettre que, en mentionnant la pratique sans l’interdire, cette loi lui reconnaît une certaine légitimité. Des divorces imposés Les livres d’Esdras 9-10 et de Néhémie racontent comment, après le retour de l’exil, des Judéens mariés à des femmes étrangères furent dans l’obligation de les répudier. Mais on peut considérer que l’on a affaire ici à une situation tout à fait exceptionnelle. Avec ces mariages, le schéma qui avait conduit à l’exil babylonien risquait de se reproduire cf. Esd ; Né ? C’est pour éviter de revivre le trauma- tisme de l’exil que ces mesures exceptionnelles furent prises. JÉSUS PERMET-IL LE DIVORCE ? L’Ancien Testament n’est pas très loquace sur le divorce. Il me semble que, plutôt que d’interdire le divorce, la démarche vétérotestamentaire consiste à en limiter la pratique afin d’éviter des situations trop injustes pour ses premières victimes les femmes. Ce point de vue se confirmera à la lecture du Nouveau Testament, à commencer par les passages des en Matthieu que, pour la première fois, on trouve le verbe répudier dans la bouche du Seigneur “Il a aussi été dit Quiconque répudie sa femme doit lui donner un certificat de rupture. Mais moi je vous dis que toute personne répudiant sa femme, excepté pour cause d’inconduite sexuelle, l’expose à être adultère et quiconque épouse une répudiée est adultère”. À y regarder de plus près, on se rend compte que la préoccupation essentielle de cette déclaration c’est de mettre en évidence deux situations d’adultère Celui qui répudie sa femme, sauf pour inconduite, l’expose à devenir adultère ; Celui qui épouse une répudiée sous entendu sauf celle qui a été répudiée pour inconduite ? est adultère. Nos deux versets s’inscrivent dans le contexte d’un enseignement sur l’adultère Matthieu Ce passage apparaît dans le fameux chapitre du sermon sur la montagne où Jésus donne son interprétation de certaines lois. Tous les passages sont introduits par la formule “Vous avez entendu qu’il a été dit… Mais moi je vous dis” En revanche l’introduction du est plus courte “il a aussi été dit…”. On peut donc en déduire que Jésus ne cherche pas à examiner une nouvelle loi mais plutôt qu’il prolonge sa réflexion sur l’adultère par l’évocation de cas concrets. Jésus ne se prononcerait donc pas ici sur le divorce en tant que tel, mais plutôt sur des situations liées au divorce risquant de conduire à l’ ne signifie pas que ce texte ne dit rien sur le divorce, mais, métho- dologiquement, ce n’est pas de lui qu’il faut commencer. Ce texte dit, directement, ce que Jésus pense de l’adultère, et indirectement seulement, un aspect de sa pensée sur le divorce. Ce texte doit être interprété à la lumière des autres textes où Jésus parle du // Marc racontent, avec quelques différences, le récit d’une conversation entre Jésus et des pharisiens. Ces derniers l’interpellent sur la question de la répudiation. On est donc en plein dans notre sujet. On admet en général que les pharisiens demandaient à Jésus de prendre position dans un débat qui agitait le judaïsme à cette époque. S’y opposaient deux écoles rivales correspondant à deux manières d’interpréter le texte de Deutéronome 24, particulièrement l’expression vague “Quelque chose d’inconvenant” Dt L’école libérale du rabbin Hillel donnait à cette expression un sens très large on pouvait répudier sa femme pour un motif aussi futile qu’un plat mal cuit 4. Quand les pharisiens, selon le texte de Matthieu, demandent s’il est permis à un homme de répudier sa femme “pour n’importe quel motif”, ils font directement allusion à cette école libérale. En face, il y avait l’école du rabbin Shammaï, beaucoup plus rigoriste, qui pensait que l’adultère était le seul motif valable de divorce. Jésus va-t-il prendre position dans ce débat ? Quelle est sa position à lui, le Seigneur ? Le mariage d’abord, la permission du divorce ensuite Remarquons que Jésus ne prend pas directement position. Selon le récit de Matthieu, il renvoie les pharisiens aux ordonnances créationnelles sur le mariage Mt Dans le récit de Marc, il répond par une question “Que vous a commandé Moïse ?” Le verbe “commander” est très fort. On a vu que, formellement, Deutéronome 24 n’est pas un commandement sur le divorce ; il est donc permis de penser qu’en utilisant un verbe aussi fort, Jésus espérait conduire les pharisiens vers d’autres commandements directement vers les ordonnances du mariage dans les récits de création ou peut-être vers les commandements de Moïse interdisant explicitement le divorce et ainsi, par ricochet, vers les ordonnances créationnelles. Il est certain en tout cas, selon le récit de Matthieu, que c’est bien au mariage que Jésus a pensé en premier. On peut donc penser que c’est vers le mariage, et tout le sérieux qu’il faut attacher aux ordonnances divines, qu’il espérait aussi orienter les pharisiens selon le récit de première réaction de Jésus est déjà pleine d’enseignement. Alors que la tendance actuelle en cas de difficulté conjugale conduit à penser d’abord “divorce”, l’attitude de Jésus est, pour le chrétien et a fortiori pour le pasteur et la démarche pastorale, un rappel important elle invite à penser d’abord “mariage”. C’est lui qu’il faut valoriser, c’est lui qu’il faut tenter de sauver. Et ceci en vertu de l’ordonnance créationnelle qui prime sur la permission conduit à une seconde remarque. Selon le récit de Marc, les phari- siens ont bien perçu la subtilité introduite par Jésus avec le verbe “commander”. Certes ils ne vont pas le suivre mais ils vont recentrer le débat sur la répudiation en évoquant la permission mosaïque – et non le commandement – de Deutéronome On retrouve, dans le récit matthéen, le même glissement du verbe commander vers le verbe permettre, à cette différence près que ce sont les pharisiens qui utilisent le premier et Jésus le second Mt Quoi qu’il en soit de cette différence, le glissement est là, et il est important. Il était au cœur de la conversation entre Jésus et les récit rappelle clairement que la Torah ne contient pas de commandement sur le divorce, mais seulement une permission, à cause de la dureté du cœur humain. Une permission est moins qu’un commandement, mais c’est plus qu’une simple tolérance. En permettant, le Seigneur accorde, il valide la possibilité du divorce. Si la parole du Seigneur invite à tout faire pour tenter de sauver un mariage en difficulté, elle admet aussi l’existence de cas limites, de cas où le Seigneur lui-même valide la possibilité de la séparation. Une telle permission, validée par le Seigneur, doit être prise comme une porte ouverte, une vraie possibilité offerte pour se reconstruire en dehors du cadre destructeur d’un mariage devenu toxique. Toute la question est de savoir à quelle situation s’applique cette permission. Le sens de la clause d’exception Ceci nous conduit à examiner la fameuse clause d’exception de cf déjà Mt “Je vous dis que quiconque renvoie sa femme, sauf pour inconduite sexuelle pornéia, et en épouse une autre est adultère”. Ici se cristallise le débat. À la différence près de la clause d’exception et de l’expression “envers elle”, la phrase est strictement identique en Marc En Luc en dépit de termes différents, le sens est le même. Matthieu est donc le seul à contenir cette clause dite d’exception. Nous ne croyons pas qu’il s’agit d’un ajout matthéen5.Que désigne exactement le mot pornéia ? Dans les textes bibliques ce mot a plusieurs sens Prostitution. C’est le sens premier. Le terme grec pour désigner la prostituée est porné. Voir Matthieu ; Luc ; 1 Corinthiens C’est aussi dans ce sens qu’il est utilisé métaphoriquement Ap ; La racine désigne le fait de se prostituer la prostituée est appelée la porné , mais aussi le fait de s’unir à une prostituée. Relations sexuelles incestueuses. Le terme désigne quelquefois des unions interdites par la loi juive en raison d’un degré de consanguinité trop étroit Lv C’est le sens en 1 Corinthiens Peut-être aussi en Actes et S’il fallait donner ce sens restreint au terme dans la clause d’exception, Jésus affirmerait que certaines unions devraient être considérées comme non valides aux yeux de Dieu en raison d’un degré trop étroit de consanguinité. La clause ne serait donc pas une permission de divorce mais plutôt la reconnaissance de l’invalidité de certaines unions conjugales aux yeux de Dieu. Cela rejoint le point de vue catholique qui refuse le divorce mais reconnaît qu’il existe des cas de nullité de mariage. Ce ne sont pas des annulations mais des déclarations de nullité. Un mariage est déclaré nul et non avenu parce qu’il n’a pas respecté certaines règles constitutives d’un mariage valide. La difficulté avec cette interprétation, c’est qu’elle donne un sens peu courant au mot pornéia. En 1 Corinthiens le contexte impose ce sens. Mais rien dans notre contexte ne l’impose. Ce n’est pas parce que le terme a ce sens dans un passage du Nouveau Testament qu’il faut l’imposer ailleurs. Surtout lorsque ce n’est pas le sens le plus courant. Adultère. Là encore ce n’est pas un sens courant. On le trouve dans la LXX, en Nombres ou en Jérémie Mais le grec a un autre mot plus spécifique pour désigner l’adultère moicheia. Ce mot spécifique apparaît d’ailleurs dans le contexte de la clause d’exception Mt et ce qui conduit à penser que les deux termes ont ici un sens différent. Jésus ne dirait donc pas que l’adultère est le seul motif légitime de divorce. Il se distancierait ainsi de la position de Shammaï. Inconduite sexuelle. Dans plusieurs passages le mot a un sens moins clairement défini Mc ; 1 Co ; Il évoque toute forme d’inconduite sexuelle l’adultère ou la prostitution, bien sûr, mais pas uniquement. Plus largement, tout comportement qui ne correspond pas à un usage de la sexualité conforme à la volonté divine. Dans la pensée de Dieu, la sexua- lité est un geste d’amour accompli dans le cadre du mariage ; elle suppose la fidélité et le respect du conjoint. Tout ce qui sort de ce cadre peut être qualifié de pornéia. Ainsi, en Deutéronome les relations sexuelles avant le mariage sont désignées, dans la Septante, avec le verbe porneuô. Mais bien d’autres attitudes pourraient être concernées harcèlement sexuel, exhi- bitionnisme… On pourrait aussi penser à des situations plus actuelles comme l’habitude de fréquenter, sur Internet, des tchats pornographiques… N’ayant aucune indication dans notre contexte pour donner un sens spécifique au terme, c’est ce sens plus général qu’il faut conserver. Jésus dirait que toute forme de sexualité ne correspondant pas à la volonté de Dieu pourrait être une cause légitime de compréhension de la clause d’exception nous conduit à faire la remarque suivante comme en Deutéronome le contenu n’est pas fixé avec précision. Jésus n’utilise pas le mot moicheia et donc ne limite pas la possibilité du divorce à l’adultère. Certes Jésus n’ouvre pas la permission du divorce aussi largement que le faisait Hillel. La raison est évidente. Pour lui le mariage est une institution divine et en aucun cas il ne voulait en relativiser l’importance. En cas de difficulté, il faut tout faire pour le sauver “Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni”. Jésus ne cherche pas non plus à banaliser le divorce. La formulation de la phrase qui contient la clause le démontre ; en toute rigueur Jésus ne permet pas le divorce, il l’interdit, sauf dans certains cas… Il fait preuve de la plus grande prudence car un divorce infondé fait courir le risque du péché d’adultère. Mais le fait de ne pas énoncer avec précision les motifs permettant le divorce est significatif. Pour Jésus il ne s’agissait pas, comme le faisait Shammaï, de définir de façon précise les conditions de possibilité d’un divorce. Jésus n’a pas une approche légaliste. Il ouvre une autre démarche ne pas trop préciser, afin de maintenir une porte ouverte lorsque le mariage, trop profondément atteint, affecte gravement et blesse irrémédiablement l’un au moins des conjoints. Garder une porte ouverte sans toutefois céder à la banalisation. Telle est la ligne de crête, étroite mais nécessaire, pour refuser tout laxisme, mais aussi pour maintenir la possibilité d’un nouveau départ en cas d’échec avéré du mariage. L’approche de Jésus n’est ni légaliste, ni libérale. C’est une approche pastorale, qui privilégie la compassion sans tomber dans le laxisme. L’APÔTRE PAUL PERMET-IL LE DIVORCE ? C’est dans 1 Corinthiens que l’on trouve les paroles principales de l’apôtre concernant le divorce et le remariage. De prime abord, lorsqu’on lit ces versets, particulièrement les versets 10-11, on pourrait se dire que la cause est entendue. L’apôtre serait opposé au divorce “Que la femme ne se sépare pas de son mari… et que le mari n’aban- donne pas sa femme” ; le mariage serait indissoluble, de la manière la plus absolue, tant que l’un des conjoints est vivant ; seule la mort est susceptible de libérer de ce lien cf. Rm et 1 Co compréhension des textes de Paul est encore assez répandue, notamment chez un grand spécialiste évangélique Gordon Fee 7. Mais, si on l’adopte, on doit se demander Comment l’apôtre a-t-il reçu la clause d’exception formulée par Jésus ? Ne la connaissait-il pas, lui qui prétend parler au nom du Seigneur ? Et surtout ne se contre-dirait-il pas avec ce qu’il dit un peu plus loin ? En effet, ne laisse-t-il pas entendre, au verset 15, que le mari et la femme peuvent être libérés du lien du mariage alors que les deux sont toujours vivants ? Rappel du contexte Pour comprendre ces versets, on ne peut pas faire l’impasse sur le contexte. Dès le début du chapitre l’apôtre répond à des questions concernant le mariage8. Pour comprendre ces réponses, il est important de chercher à saisir les questions à l’arrière-plan et leur reconstitution de la situation de l’Église de Corinthe fait l’objet d’un large consensus 9. Des membres de l’Église étaient fortement influencés par les premières manifestations d’une philosophie étrangère à la Bible, connue au IIème siècle sous le nom de gnosticisme. Certes, à l’époque où Paul écrit le gnosticisme n’est pas encore connu comme tel. Mais les prémices de cette façon de penser se font déjà sentir. On a aussi appelé ces courants “spiritualistes” à cause de l’accent mis sur l’esprit au détriment du corps seul compterait l’esprit ; les réalités corporelles seraient indifférentes, voire nuisibles à l’esprit. D’une telle conception naissait deux attitudes opposées celle qui affirmait que l’on peut faire ce que l’on veut de son corps, que cela n’a aucune incidence sur l’esprit ; et celle qui affirmait que l’on doit brider toutes les réalités corporelles pour sele judaïsme contemporain de Jésus, le divorce impliquait le droit au remariage. En effet le talmud indique que la lettre de divorce comportait la formule “Tu es libre de te remarier”14. Des documents juridiques de la colonie juive d’Éléphantine, en Égypte, allaient dans le même sens 15. Les pharisiens qui venaient à Jésus avaient en tête le texte de Deutéronome 24 et aussi la pratique courante telle qu’elle est reflétée dans ces documents du judaïsme. Pour eux, répudiation et droit au remariage allaient de pair. Si Jésus avait voulu s’opposer à cette conception courante, il aurait normalement dû le signifier. Certains, à la suite de Jérôme au IVème siècle, ont affirmé que la clause d’exception doit s’appliquer à la première partie de la phrase seulement mais pas à la deuxième. Ainsi Jésus admettrait, dans certains cas, la possibilité de séparation, mais en aucun cas il ne permettrait le remariage. En d’autre terme il aurait voulu dire “Quiconque répudie sa femme, sauf en cas d’inconduite sexuelle, commet un adultère et quiconque se remarie, dans tous les cas, commet un adultère”. Mais cette interprétation soulève des difficultés. Elle impliquerait que la répudiation, même sans remariage, serait un adultère. Or dans la pensée biblique, l’adultère suppose une relation sexuelle. Sauf à redéfinir le sens de ce mot, on ne voit pas très bien comment le simple fait de se séparer de son conjoint serait un adultère. De plus, si Jésus avait évoqué ici deux situations différentes, il aurait été logique que l’annonce du résultat de ces deux situations soit au pluriel “Celui répudie sa femme, sauf en cas de pornéia, et celui qui se remarie sont adultères”. Ou bien alors, comme en Matthieu il aurait dû répéter à chaque fois le résultat “Celui qui répudie sa femme – sauf en cas de pornéia – commet l’adultère et celui qui se remarie commet l’adultère”16. La manière la plus logique de lire cette phrase, c’est donc de considérer que Jésus n’évoque ici qu’une seule situation celle d’un homme qui répudie sa femme puis se remarie. C’était en effet la situation courante. Jésus ne l’interdit pas, mais, sollicité sur la question du divorce, sa réponse se déplace vers le remariage. Il dit “attention, si on divorce pour un motif futile, on commet l’adultère en se remariant !” La parole de Jésus “Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni” est souvent invoquée pour affirmer que la répudiation dont parle la Bible ne rompt pas le lien conjugal. En effet les hommes ne seraient pas capables de défaire ce que Dieu a fait. Mais H. Blocher fait remarquer que Jésus n’a pas dit “L’homme ne peut pas séparer ce que Dieu a uni” mais “Que l’homme ne sépare pas…”17. C’est très différent. On pourrait même pous- ser plus loin la parole de Jésus et dire que l’homme, en fait, peut séparer ce que Dieu a uni, mais, en principe, il ne doit pas le faire. Paul Sorti de son contexte, 1 Corinthiens pourrait apparaître comme uneinterdiction absolue “Si elle s’est séparée, qu’elle demeure sans se remarier”. Mais on a vu que cette parole s’adressait spécifiquement au conjoint qui a pris l’initiative de la séparation pour le seul motif ascétique. Paul reconnaît que cette personne est non-mariée, mais elle n’a pas le droit de se remarier. On dira pourquoi tout à l’heure. De plus on a vu que Paul permettait, lui aussi, une possibilité de séparation. Admettait-il alors la possibilité du remariage dans ce cas précis ? Il ne le dit pas clairement. Cependant les termes forts qu’il utilise conduisent à le penser si les conjoints séparés sont agamoï donc dans une situation similaire à celle du célibataire et si au moins celui qui subit la sépara- tion n’est pas lié donc dans une situation similaire à celle des veufs on a toutes les raisons de croire qu’il pouvait se remarier. On peut même penser qu’en interdisant explicitement le remariage dans une situation, cela implique qu’il le permettait implicitement dans l’autre situation. Mais pourquoi l’interdire dans un cas et pas dans l’autre ? N’est-ce pas faire deux poids deux mesures ? Non. Il faut bien réaliser que dans les deux cas la situation est très différente. Le verset 11 s’adresse à une personne qui a choisi de se séparer pour une raison qui ne constitue pas une atteinte directe au lien du mariage. Son désir d’ascétisme est un motif purement personnel qui ne met pas en cause l’attitude du conjoint. Il est donc logique dans ce cas, si cette personne ne souhaite pas reve- nir vers son conjoint, qu’elle demeure non mariée, puisque tel est son choix. Au verset 15 la situation est toute différente. Le conjoint chrétien n’a pas décidé lui-même de se séparer. Il est obligé d’accepter la situation que les circonstances lui imposent, un peu comme les veufs et veuves. L’attitude du conjoint déserteur atteint en profondeur la relation du mariage, elle la rend impossible. Le conjoint abandonné doit donc être considéré comme délié de ses engagements antérieurs. Il est donc logique qu’il ait le droit de se remarier. Nous avons donc aux versets 11 et 15 deux situations bien distinctes dans un cas un divorce choisi sans motif valable mais un divorce tout de même ! ; dans l’autre un divorceimposé rendant impossible la poursuite de la relation conjugale. Dans un cas le remariage n’est pas possible, dans l’autre, il l’est. DEUX CLAUSES D’EXCEPTION OU DEUX EXEMPLES DE CLAUSES D’EXCEPTION ? La Bible mentionne expressément deux motifs de divorce l’inconduite sexuelle et la désertion du conjoint non-chrétien. Faut-il considérer que ce sont les deux seules raisons possibles ?Qu’en est-il, par exemple, lorsque c’est un conjoint chrétien qui est coupable de désertion ? Certes, l’approche pastorale conduira à le rencontrer et à œuvrer dans le sens d’une réconciliation. Mais s’il ne veut rien entendre ? Comment accompagner le conjoint déserté ? Faut-il le considérer comme délié ? Faut-il considérer le déserteur comme un païen au motif qu’il refuse d’écouter l’Église selon la suggestion du Seigneur lui-même ; cf. Mt ? Et qu’en est-il d’autres situations commela violence, l’alcool… ? Ou encore de situations infiniment plus compliquées, lorsque les torts sont difficiles à établir, que la relation s’est dégradée au cours des années et que le mépris a pris la place de l’amour ? Doit-on considérer qu’il n’y a là aucun motif valable de divorce ?Toute la question est de savoir si la Bible présente une liste exhaustive de clauses d’exception ou bien s’il s’agit plutôt d’“exceptions type” dont la liste ne serait pas exhaustive ? Je voudrais plaider pour cette deuxième notons que les motifs invoqués pour permettre le divorce restent relativement imprécis. C’est particulièrement vrai dans Deutéronome 24. Ça le reste dans la bouche de Jésus. On peut noter aussi que l’apôtre Paul ne précise pas le motif qui pousse le conjoint non-chrétien à se séparer cf. 1 Co Cette attitude qui consiste à ne pas trop préciser les choses – contrairement à ce que faisait Shammaï par exemple – me paraît significative. C’est une attitude qui tend vers l’ouverture plutôt que vers la fermeture. Cela traduit le désir de prendre en compte chaque cas individuellement plutôt que d’établir des normes précises qu’il faudrait appliquer froidement sans tenir compte des situations. Cette manière de faire ouvre la possibilité d’une certaine liberté pour permettre un accompagnement pastoral adapté et évite les pièges du légalisme. Jésus ne recommande pas le libéralisme de Hillel, loin s’en faut, mais il ne fait pas non plus l’éloge du rigorisme de Shammaï. S’il est ferme dans son appui du maiage, il est aussi humain envers la souffrance d’autrui. En cela on peut penser qu’il a modelé l’attitude de Paul qui s’est senti la liberté, en considérant la souffrance des conjoints désertés, de permettre la reconnaissance d’un nouveau cas de nous devons prendre en compte la nature des textes bibliques étudiés. Aucun d’eux ne constitue un exposé à part entière sur le thème du divorce. Tous sont des réactions à des situations existantes une loi casuistique dans un cas, la réponse à une question posée sur la possi- bilité d’un divorce pour n’importe quel motif dans un autre cas, la prisede position par rapport à des situations engendrées par la confrontation à des philosophies et des attitudes émanant du monde païen dans un dernier cas. Pas d’exposé théorique, mais des réactions. C’est la raison pour laquelle Paul ne fait aucune mention de la clause d’exception du Seigneur. Pour lui ce n’était pas le sujet. La prise en compte de cette réalité oblige à penser qu’on ne trouve dans aucun texte un exposé exhaustif sur la question du divorce. À chaque fois nous trouvons plutôt un effort de contextualisation. À chaque fois il s’agit de faire tenir ensemble plusieurs paramètres la pensée de Dieu sur le mariage, la pensée humaine fortement entachée de péché, mais aussi la souffrance que les crises du mariage ne manquent pas d’engendrer. Or, il se trouve que si la pensée de Dieu sur le mariage ne change pas, la réalité du péché et les causes de souffrances sont, elles, multiformes. Et cela oblige à refaire constamment le travail de contextualisation. L’apôtre Paul a pour nous une attitude exemplaire. Il ne campe pas sur la clause d’exception du Seigneur, mais il adopte la même attitude que lui il tient compte de la pensée divine sur le mariage “qu’on ne se sépare pas” mais aussi de la réalité du péché et des souffrances qu’elle engendre “si elle est séparée”, “si le non-croyant se sépare”. C’est cette œuvre de contextualisation que l’approche pastorale, confrontée à une grande diversité de situations, doit constamment nombreux hommes de Dieu, dans des situations très diverses, ont déjà plaidé pour la poursuite de cet effort de contextualisation. Luther a pensé que le refus par un conjoint des relations sexuelles rendait possible le divorce ; Mélanchton le pensait des mauvais traitements ; Bucer allait jusqu’à proposer l’incompatibilité d’humeur ; plus récemment Dabney invoque un mari qui contraindrait sa femme à avorter ou une femme qui avorterait à l’insu de son mari ou encore un mari qui bat sa femme ou ses enfants de manière habituelle ; R. Beckwith évoque la cruauté perverse, le refus du mari de pourvoir aux besoins de sa femme ou de ses enfants, et même l’opposition délibérée aux décisions raison- nables du mari sur des points importants18.Henri Blocher pose la question “Puisque l’apôtre, inspiré, a eu l’auda- ce d’étendre à la désertion ce que Jésus n’avait dit que de la fornication, pouvons-nous comme lui allonger la liste, l’étendre à d’autres fautes graves ?”19 R. Somerville est disposé à aller dans ce sens, “à condition de ne pas nous placer dans une perspective purement juridique ce qui reviendrait à dire, dans telle ou telle situation, le divorce est autorisé, mais plutôt dans une perspective pastorale ne sommes-nous pas dans une situation où l’interdiction de divorcer deviendrait un esclavage, alors que le mariage est, de fait, brisé ?”20.Il est évident qu’une telle démarche nécessite de la prudence. En aucun cas, elle ne doit ouvrir la porte au laxisme. Le soutien franc et massif de la Parole de Dieu au mariage doit demeurer une ligne directrice ferme. Ce soutien franc doit empêcher de livrer le lien du mariage à des motifs de ruptures futiles. Nos textes refusent explicitement le remariage lorsque le motif de la séparation ne constitue pas une atteinte directe au cœur du mariage et aux engagements qui le fondent ainsi de la séparation pour un motif purement personnel, égoïste 21. Mais on a aussi admis que lorsque le motif de la séparation constituait une atteinte directe au cœur un mariage et aux engagements qui le fondent, par exemple le refus de fidélité ou de vie commune, alors le remariage devenait possible, et donc le divorce légitime. De tels éléments peuvent guider dans le discernement et l’accompagnement pastoral. Quandun homme et une femme se marient, ils deviennent un plus et un moins substantiels qui représentent Dieu. C'est la volonté de Dieu que, lorsque nous nous marions, nous nous unissions totalement horizontalement, centrés sur l'amour vertical de Dieu. D'une part, le corps humain est horizontal, représentant la terre. D'autre part, la Et Dieu créa la femme Re-lecture talmudique À propos de la lecture talmudique d’Emmanuel Lévinas Et Dieu créa la femme » Jérôme Benarroch Résumé Emmanuel Lévinas a joué un rôle très important pour faire découvrir au monde intellectuel et philosophique qu’existe une véritable pensée théorique dans les textes talmudiques. Mais comme il l’avoue lui-même, c’est en amateur qu’il aborde ces textes1. Par là même, sans le vouloir, il y retrouve étonnamment des éléments fondamentaux de sa propre philosophie. Mais de ce fait, aux yeux d’un public non averti, la pensée talmudique et la pensée lévinassienne apparaissent presque comme une seule et même entité, au point que l’on cherche parfois la pensée de Lévinas dans le Talmud ou dans la Bible ! À travers cette relecture talmudique », nous voudrions montrer qu’il faut savoir distinguer la pensée propre de ce grand philosophe de l’enseignement des Sages du Talmud et ne pas les confondre. S’il y a chez ces derniers une pensée théorique, la compréhension et la réélaboration conceptuelle de leur pensée sont complexes et exigent un investissement entier et quasi exclusif – jour et nuit », dit le verset de Josué 1, 8, pour ne pas t’en écarter, ni à droite ni à gauche ». Abstract Emmanuel Levinas played a pivotal role in his effort to make the intellectual and philosophical world see that true theoretical thought can be found in Talmudic texts. But as he himself admits, it is as an amateur that he approaches these texts2. Thus, without seeking it, he surprisingly finds in these texts fundamental elements of his own philosophy. Hence, in the eyes of an uninformed public, Talmudic thought and Levinasian thought appear practically as one and the same entity, so much so that we sometimes try to find Levinas’s thought in the Talmud or in the Bible! Through its “Talmudic re-reading,” this paper aims to show that it is necessary to know how to distinguish the actual thought of this great philosopher from the teachings of the Sages of the Talmud and not confuse them. If, indeed, theoretical thought exists in the teachings of the Sages, the comprehension and the conceptual re-elaboration of their thought are complex and require total and almost exclusive attention – “day and night” says the verse from Joshua 1, 8, in order “not to turn from it to the right or to the left.” 1 Lévinas procède presque systématiquement, en préambule à ses lectures talmudiques, à des aveux habituels de faiblesse » Lévinas Emmanuel, Du sacré au saint, Paris, Minuit, 1977, p. 126. Cf. notamment Lévinas E., Quatre lectures talmudiques, Paris, Minuit, 1968, p. 31-32, où il parle du commentaire talmudique comme d’ une tâche où je ne m’évertue qu’en amateur » et où il précise […] en me présentant ainsi je ne me livre pas à une manifestation de fausse modestie. » 2 In his foreword to the Talmudic Lectures, Lévinas almost systematically refers to his “aveux habituels de faiblesse” Lévinas Emmanuel, Du sacré au saint, Paris, Minuit, 1977, Cf. specifically Lévinas E., Quatre lectures talmudiques, Paris, Minuit, 1968, where he refers to Talmudic commentary as “une tâche où je ne m’évertue qu’en amateur” and adds “[…] en me présentant ainsi je ne me livre pas à une manifestation de fausse modestie.” Dans un article publié en 1977 dans Du sacré au saint et intitulé Et Dieu créa la femme »3, Emmanuel Lévinas propose une interprétation d’un passage talmudique tiré du Traité Berakhot 61a, traitant de la création de la femme. Nous nous proposons d’analyser cette lecture qui, à la fois, montre l’originalité et l’importance de ce grand philosophe qui a su, sur un plan théorique, prendre au sérieux les enseignements de nos Sages et dégager de leurs propos souvent obscurs ou métaphoriques une authentique profondeur conceptuelle, mais qui révèle aussi une certaine extériorité, source de malentendus. À cet effet, nous tâcherons, dans un premier temps, de rendre compte des thèses majeures de son analyse. Dans un deuxième temps, nous formulerons certaines objections à celles-ci ; enfin, nous envisagerons une autre voie d’étude, plus fidèle, à notre sens, à la pensée talmudique. Pour ne pas alourdir notre propos, nous ne citons pas dans son entier le passage commenté ; il figure en tête de l’article d’Emmanuel Lévinas. I. Présentation du sujet L’enjeu premier de ce passage talmudique est d’exposer un débat » entre deux Amoraïm de la première génération, Rav et Shmouel, ayant trait au récit biblique de la création de la femme. L’un des deux – sans que l’on sache lequel – énonce que ce que le texte biblique appelle côté de l’homme »4, d’où a été bâtie la femme, était un visage », tandis que l’autre dit que c’était une queue ». Une fois les termes de la controverse posés, la Guemara5 s’attache à éprouver chacune des deux versions, pour en établir la légitimité. Pour ce faire, elle procède en opposant à chacune des deux thèses différents versets bibliques qui semblent à chaque fois contredire les thèses en question. Ainsi plusieurs objections sont-elles tout d’abord formulées à l’encontre de celui qui pense qu’il s’agissait d’une queue » ; et la Guemara apporte une réponse à chacune de ces objections, ce qui permet de confirmer que le texte biblique supporte, dans son détail, une telle interprétation. La Guemara inverse alors le questionnement et, à l’aide d’un autre verset, avance une objection à l’encontre de la lecture qui, dans le côté », voit un visage », objection à laquelle il est également répondu. En fin de discussion, il n’est pas explicitement dit quelle est la version la plus vraisemblable, la plus justifiée en termes de preuves textuelles, car il s’agit là d’un véritable débat », au sens où chaque option est soutenable. On comprend donc que les deux contradicteurs progressent chacun selon sa voie dans les différents versets, et ce, non seulement pour permettre une indispensable compossibilité des versets » mais, comme le suggère E. Lévinas, pour élaborer un enchaînement d’idées dans ses multiples possibilités » Néanmoins, il faut noter qu’à la lecture d’un autre passage talmudique, dans le Traité Ketouvot 8a, on peut établir que l’option du visage », qui signifie que l’homme et la femme ont été créés en un temps unique, dos à dos, c’est-à-dire sous la forme d’un être androgyne à deux visages, est l’option retenue par la Guemara6. Ceci ne sous-entend toutefois pas que ce 3 Lévinas E., Et Dieu créa la femme », Du sacré au saint, op. cit., p. 125-148. 4 Genèse 2, 22. 5 Guemara commentaire de la Michna par les Amoraïtes, qui succédèrent aux Tanaïtes, maîtres de la Michna IIIe-VIIe siècle. L’ensemble Michna et Guemara forme le Talmud 6 Il existe en effet un autre débat, concernant le nombre de bénédictions à prononcer lors d’un mariage certains disent cinq, d’autres six. La Guemara suppose au départ que ce débat correspond à notre débat, celui qui pense cinq » étant en fait celui qui dit que l’homme et la femme ont été créés en une fois sous forme de deux visages », et celui qui pense six » rajoutant une bénédiction car il penserait qu’il y a eu deux temps dans la création humaine, un premier sous la forme d’un homme avec une queue » et un second temps correspondant à la création de la femme en tant que telle, justement à partir de la queue ». Mais la Guemara revient de cette première hypothèse et déclare que tous pensent qu’il n’y eut qu’une seule création », ce qui soit là la vraie » version, ni la plus aboutie – car dans un débat » talmudique, chacune des différentes options a et conserve toujours sa part de nécessité – mais simplement que, au moins en ce qui concerne ici les bénédictions du mariage – thème de la guemara Ketouvot 8a – les Sages ont estimé que l’option du visage » était la plus adéquate. Cela pour indiquer à quel point on doit prendre garde de ne pas privilégier sans justification une option plutôt qu’une autre dans un débat » talmudique ; il s’agit plutôt de retrouver la mesure de la divergence et saisir la logique propre de chacune des voies en jeu. Ainsi, dans ce passage de Berakhot 61a, les deux options apparaissent en fin de compte aussi praticables l’une que l’autre. Par conséquent, au niveau des principes et de leur légitimité au regard du texte biblique, elles devront être envisagées comme deux explications suffisantes et peut-être complémentaires du sujet de la création de la femme. Or, quel est le problème que soulève ce sujet » ? Répondre à cette question oblige à répondre d’emblée à la question de la pertinence du texte biblique qui, dans son étrange densité signifiante, élabore des solutions à des problèmes théoriques et pratiques. Car ce que le texte biblique pense » n’est pas explicite. Il contraint plutôt à penser, mais sans livrer » les idées sur un mode philosophique. S’il est donc évident pour nous que le texte de la Tora n’est pas un texte historico-anthropologique mais vient à la fois formuler des problématiques théoriques et enseigner les conséquences pratiques de ces élaborations, il nous faut comprendre pourquoi la relation entre l’homme et la femme y est présentée sous la forme de cette création » et pourquoi cette création revêt une allure mythologique. Notre hypothèse est que la Tora conjoint, unifie dans sa formulation singulière ce qui est par ailleurs séparable l’approche théorique, l’approche de l’exigence pratique et l’approche sensible. Notre but n’est pas ici de développer cet enjeu mais de rappeler que le texte biblique a toujours un aspect normatif, pratique, qui doit être pris en considération dans toute réflexion sur son sens7. Nous verrons qu’E. Lévinas, dans sa lecture du Talmud, néglige cet aspect. Remarquons en outre que le Talmud tend à se superposer au texte biblique, en cela qu’il réutilise son style singulier, imagé ». En effet, lui non plus n’élabore pas le sens philosophique » de ses choix d’exposition mais, là encore, oblige celui qui étudie à formuler des justifications pour rendre sensées et déterminées les idées et exigences pourtant sousjacentes. Les deux propositions élaborées par les Sages – la femme créée à partir d’un deuxième visage » ou bien de la queue » de l’homme – ne sont pas immédiatement formulées dans un langage théorique parce que le propos est tout à la fois et indissociablement théorique, pratique et sensible. E. Lévinas s’efforce pour sa part, et à raison, de dégager dans son article une possible signification théorique de ces motifs ». Il envisage donc le problème en termes de pensée », de conception des choses – ici, la conception du rapport entre l’homme et la femme. Mais l’enjeu ne semble être pour lui ni pratique8, ni esthétique, ni sensible. Il va donc signifie, d’après le commentaire de Rachi, que tous les Sages participant à ce débat admettent que l’homme et la femme furent créés en une seule fois, donc sous forme androgyne, les deux visages » dos à dos. La Guemara n’objectant rien à cette explication, on est amené à penser que l’option visage » est celle que les Sages retiennent. Mais ce point demande à être approfondi. En tout cas, nous voulons ici montrer que la confrontation de différents passages talmudiques traitant d’un même sujet est essentielle pour comprendre le sens d’une controverse – c’est là une des règles de base de l’étude talmudique. 7 On doit sur ce point se reporter au premier commentaire biblique de Rachi sur Au commencement ». Il affirme La Tora aurait dû commencer par le premier commandement donné à Israël. » Le sens premier » du texte biblique est donc immédiatement mis en relation avec le commandement », c’est-à-dire l’impératif pratique. 8 Ainsi, dans son avant-propos à Du sacré au saint, Lévinas déclare avoir été moins appelé que l’étude traditionnelle vers les décisions pratiques’ découlant de la Loi » op. cit., Pourtant, les décisions pratiques » ne sont pas une simple mesure de piété sans importance, que l’on pourrait disjoindre du spéculatif. Leur visée permet de lire les textes en tant qu’énoncés ou parole et non en tant que discours opposer deux conceptions » de ce qu’il est convenu d’appeler, dans l’univers intellectuel contemporain, la différence sexuelle. II. La lecture d’Emmanuel Lévinas Comment Lévinas comprend-il le débat » ? Nous exposerons ici ce qui nous apparaît comme l’essentiel de son développement, sans entrer dans tous les détails de son analyse, qui appelleraient cependant de nombreuses remarques. Sa première thèse est que Rav et Shmouel conçoivent l'un et l'autre la femme comme faisant partie de l’humain » tout autant que l’homme. C’est-à-dire qu’elle n’est pas simplement selon eux la femelle de l’homme », un être vivant, certes, mais d’une vie dont la fonction se limiterait [j’enlève valeur » ici car vous en parlez un peu plus loin dans la même phrase]à la capacité reproductrice animale ou à la satisfaction des désirs, et dont la valeur humaine serait donc moindre. C’est la thèse égalitariste fondamentale. Là résiderait même, selon Lévinas, l’enjeu central du récit de cette étrange création de la femme en tant que prise et construite de l’homme », ce qu’il faudrait entendre au sens de prise de l’humanité même ». Cette thèse est en partie paradoxale car a priori on aurait au contraire pu comprendre que la femme, du fait de sa création seconde, soit précisément considérée comme un être inférieur, de second ordre. D’où l’insistance d’E. Lévinas sur ce point les deux options en débat – visage » ou queue » – affirment une égalité de valeur de l'homme et de la femme. Le fait que la création de la femme apparaisse comme seconde ne peut signifier qu'elle soit ontologiquement secondaire ou inférieure. Le Talmud et la Tora ne sont pas misogynes… La controverse entre les deux Sages se situe donc sur un autre plan. Lequel ? Nécessairement, au niveau de la valeur de la distinction entre masculin et féminin. Celui qui pense que la femme a été bâtie »9 à partir d’un visage » pense non seulement l’égalité de dignité entre l’homme et la femme, comme nous venons de le voir, mais aussi que la distinction en masculin et féminin appartient au contenu essentiel de l’Humain »10, au sens où tous les rapports qui les rattach[èr]ent l’un à l’autre sont d’égale dignité »11. Mais, d’emblée, une difficulté surgit dans cette explication. En effet, et sans aller trop loin dans l’analyse, il apparaît que Lévinas assimile ici la différence de l'homme et de la femme à celle du masculin et du féminin, pour déclarer que cette première lecture – un visage » – établit en tant que telle l’idée de l’égalité entre l’homme et la femme, sous tous leurs rapports. Que vient nous apprendre l’idée que la femme aurait été construite à partir d’un visage », en plus du fait qu’elle a été prise de l’homme, c’est-à-dire ici de l’humain ? Seulement ceci que l’égalité de dignité est parfaite, ce qui n’était pas évident dans le texte biblique qui énonçait simplement qu'elle fut prise du côté de l’homme », ce qui aurait pu laisser entendre qu'elle était ontologiquement secondaire. La leçon du visage » serait donc choisie pour parer à une mauvaise lecture, une lecture immédiate dégradante pour la femme ; mais elle n’apporterait aucun nouvel élément de compréhension, en particulier au niveau du rapport entre masculin et féminin, comme cela aurait pourtant dû être le cas pour rendre compte des deux enseignements la femme tirée de l’homme, et tirée en tant que deuxième visage. Ainsi, l’idée pourtant évoquée par Lévinas du masculin et du féminin comme distinction essentielle de l’Humain » n’est pas élaborée plus avant. Plus loin dans son article, reprenant le motif du visage », il n’insiste pas sur cette possibilité qui, d’après sa logique même, aurait été l’idée essentielle de celui qui dit visage ». Or, comme on va le voir à propos de la deuxième option, ceci aurait justement pu constituer un véritable enjeu de débat entre les deux parties. mythique sur des essences. 9 En hébreu boné » – construite, bâtie c’est le terme employé dans le verset de Genèse 2, 22. 10 Lévinas E., Du sacré au saint, op. cit., p. 134. 11 Ibid., p. 134. Mais lorsque celui qui pense visage » doit répondre à l’objection du verset qui indique la construction » de la femme précision inutile de son point de vue puisque la femme était déjà là, sous la forme d’un autre visage, dans le dos de l’homme, la Guemara, aidée par Rav ’Hisda, répond que le Créateur l’a construite comme un édifice » capable de recevoir adéquatement les enfants, car en effet la femme n’apparaît pas seulement comme visage féminin mais comme un corps spécifique que le Créateur a dû façonner comme un silo à grains, étroit en haut en large vers le bas »12, pour ne pas que la charge à porter – la récolte ou l’enfant – soit trop pesante sur les parois. E. Lévinas commente cette réponse en disant Au-delà de la sexualité, gestation d’un être nouveau ! le rapport avec autrui par le fils… »13 Son présupposé apparaît alors clairement le masculin et le féminin recouvriraient la notion triviale de sexualité, c’est-à-dire l’érotique, ou l’aspect infra humain de la relation homme-femme, qui serait dépassé par la noblesse de la gestation. Pour le dire de façon abrupte, Lévinas adopte ici la vision chrétienne de la sexualité, selon laquelle le rapport masculin-féminin est constitutivement entaché d’une forme de bassesse. Par conséquent, celui qui pense visage » n’envisagerait en fait pas la distinction masculin-féminin comme une distinction essentielle, car celle-ci, se réduisant à la sexualité, serait à dépasser dans une humanité authentique, c’est-à-dire dans le rapport à autrui. La suite de l’interprétation d’E. Lévinas vient confirmer cette constatation. La majeure partie de son article est centrée sur la deuxième option, qui conçoit la femme comme créée à partir de la queue ». Ceci est dû en partie à une raison contingente, le passage talmudique choisi étant centré principalement autour des objections à l’encontre de cette version et des réponses visant à la justifier. Mais plus essentiellement, cette version offre l’occasion d’élaborer plus en profondeur l'interprétation selon laquelle la différence sexuelle, entendue comme érotique, est secondaire dans l’ordre de l’humain – ceci constitue la deuxième thèse fondamentale d’Emmanuel Lévinas. Le ressort de cette deuxième thèse est le suivant la queue », propose-t-il d’entendre, n’est qu’ un appendice corporel, c’est-à-dire une articulation mineure de l’homme »14. Par conséquent, le fait que la femme, en tant que sexuellement distincte de l’homme, ait été créée justement à partir de cet appendice secondaire et particulièrement bas, signifie que la distinction sexuelle comme telle est secondaire, car elle ne vient que de cet aspect à la fois secondaire et dégradé de l’humain. Ce n’est pas la femme qui est secondaire ; c’est la relation avec la femme qui est secondaire ; c’est la relation avec la femme en tant que femme, qui n’appartient pas au plan primordial de l’humain. Au premier plan sont des tâches qu’accomplissent l’homme comme être humain et la femme comme être humain. Ils ont autre chose à faire qu’à roucouler et, à plus forte raison, autre chose et plus à faire qu’à se limiter aux relations qui s’établissent à cause de la différence entre sexes. […] Je pense au dernier chapitre des Proverbes, à la femme qui y est glorifiée ; elle rend possible la vie des hommes, elle est la maison des hommes ; mais l’époux a une vie en dehors de la maison, il siège dans le Conseil de la cité, il a une vie publique, il est au service de l’universel, il ne se limite pas à l’intériorité, à l’intimité, à la demeure, sans laquelle cependant il ne pourrait rien. »15 Quelle est cette vie de l’universel ? Lévinas le dit plus loin, et c’est une idée centrale de son œuvre philosophique, censée se raccrocher ici à la thèse de celui qui pense la queue » la responsabilité de l’homme pour tous les autres’ »16. Et E. Lévinas de souligner le lien Elle [L’interprétation de Rav Ami] s’accorde parfaitement avec la thèse qui affirme la naissance de la femme, dans sa particularité sexuelle, à partir d’une articulation mineure de l’homme ou de l’humain. Dans la 12 C’est l’explication retenue par Rachi sur le verset de Genèse 2, 22. 13 Lévinas E., Du sacré au saint, op. cit., p. 144 nous soulignons. 14 Ibid., p. 136-137. 15 Ibid., p. 135. 16 Ibid., p. 136. relation avec autrui, la proposition avec’ vire en proposition pour’. Je suis avec les autres’ signifie je suis pour les autres’ responsable d’autrui. Ici, le féminin comme tel n’est que secondaire. La femme et l’homme, en humanité authentique, collaborent comme des responsables. Le sexuel n’est que l’accessoire de l’humain. »17 Ainsi l’humanité authentique se situe-t-elle par delà la relation masculin-féminin, d’emblée envisagée comme relation sexuelle, érotico-pulsionnelle, narcissico-libidinale ou, au mieux, sentimentale, telle qu’elle peut être sublimée par la poésie ou la littérature. L’ esprit » en tant que tel, dit Lévinas, est ailleurs dans la moralité ou, plus radicalement, dans la responsabilité pour autrui, l’autre homme, l’humain – asexué, donc. Deux éléments sont à retenir. Premièrement, Lévinas réinvestit sa propre philosophie dans cette proposition de compréhension de la relation homme-femme à partir de l’idée d’une différence sexuelle en soi secondaire. Deuxièmement, la vie publique ou le rapport à autrui au sens large est dès lors survalorisé au sein des relations humaines, comme étant seul porteur d’universalité. Cette compréhension s’accorderait de plus avec la manière dont Rav Ami lit le verset 5 du psaume 139, invoqué en tant qu’objection contre celui qui dit queue » De l’arrière et du devant Tu m’as façonné, et Tu poses sur moi Ta main. »18 Celui-ci l’entend de manière totalement différente de celui qui dit visage » car par à l’arrière », il comprend le dernier créé », et par devant », le premier à être puni ». Pour E. Lévinas, ceci indique bien que l’on veut présenter l’humain comme celui dont la responsabilité envers l’autre est totale, illimitée, c’est-à-dire même au-delà de ses actes libres »19. Or, que signifie cette responsabilité au-delà de ses actes libres » dans ce contexte ? L’idée est censée provenir du passage de la Guemara qui cherche à déterminer d’où Rav Ami apprend que l’homme est châtié avant le reste du monde. c’est le sens de l’expression premier à être puni ». La Guemara comprend qu’il s’agit de l’épisode biblique du Déluge » car il y est écrit en Genèse 7, 23 Dieu effaça toutes les créatures qui étaient sur la face de la terre depuis l’homme jusqu’à l’animal […] ». Il semble donc que l’homme reçoive le châtiment du Créateur avant les animaux, ce qui serait le sens du avant » ou devant », ou en premier » – c’est le même mot en hébreu dans le verset du psaume 139. Lévinas commente De cet univers perverti, l’homme répond en premier. Cette humanité est définie, non par la liberté – sait-on si le Mal commença par l’homme ? – mais par la responsabilité antérieure à toute initiative. L’homme répond au-delà de ses actes libres. Il est otage de l’univers. Dignité extraordinaire. Responsabilité illimitée… »20 Plusieurs remarques seraient ici nécessaires. Lévinas semble vouloir déduire de cet épisode du Déluge » que l’homme, bien qu’il ne soit pas en acte le premier responsable de la dégradation morale et des mœurs de l’univers, en assumerait néanmoins toute la charge. Cela signifierait une responsabilité au-delà de la stricte justice, preuve de sa dignité extraordinaire ». Cette déduction, dans ce contexte, paraît néanmoins hâtive. Ne sait-on pas en effet que précisément, c’est bien l’homme qui fauta et fit fauter toute la terre avant le Déluge » ?21 Aussi, même si l’homme était sûr de pouvoir supporter une responsabilité dite illimitée, ou même de devoir la supporter, cette notion paraît difficilement lisible dans l’épisode du Déluge. En effet, si les justes, au niveau individuel, sont capables d’assumer une 17 Ibid., p. 136-137. 18 Pour celui qui dit visage », ce verset est très clair et va dans son sens. Il indique qu’il y a eu une création primordiale sous une forme double un avant » et un arrière », ce qui serait une allusion directe aux deux visages » de l’homme et de la femme. 19 Lévinas E., Du sacré au saint, op. cit., p. 139. 20 Ibid., p. 139. 21 Cf. à ce propos l’enseignement de Rabbi Yo’hanan dans le Traité Sanhédrin 108a Toute chair corrompait sa voie » – c’est-à-dire qu’ils accouplaient les animaux domestiques aux animaux sauvages, et l’homme avec les animaux. responsabilité au-delà de leur liberté propre, en tant qu’ils peuvent porter la faute de leur prochain22, l’idée vaut difficilement pour l’humanité dans son ensemble, dans son rapport avec les animaux ou les éléments physiques, car au niveau de l’Histoire, le seul véritable protagoniste est l’homme. Et celui-ci n’a donc pas à porter une quelconque faute des animaux ou de la terre en plus de la sienne, car tout dépend effectivement de lui. Qu’il ait été créé en dernier » indique qu’il est le but de la Création. Qu’il soit châtié en premier » indique qu’il est le seul véritable acteur et responsable de l’état moral du monde, au sens où le reste n’est que le miroir de son comportement et le corollaire de sa dégradation. Une objection décisive est alors adressée à l’encontre de celui qui pense que la femme fut tirée de la queue » de l’homme. Voici le passage de la Guemara Cela va bien pour celui qui dit visage car il est dit mâle et femelle Il les créa’ Genèse 5, 2. Comment celui qui dit queue lit-il ce verset ? Il le lit comme Rabbi Abahou car Rabbi Abahou a exposé une contradiction. Il est écrit d’un côté mâle et femelle Il les créa’ Genèse 5, 2 et il est aussi écrit car à l’image du Souverain Il a fait l’homme’ Genèse 9, 6. Comment est-ce possible ? Au début Il eut l’idée de les créer deux, mais à la fin Il le créa unique. »23 E. Lévinas propose une interprétation de cette réponse qui constitue sa troisième grande thèse. La difficulté conceptuelle est de concilier trois aspects premièrement, la distinction sexuelle pensée comme secondaire par rapport à l’humanité des êtres ; deuxièmement, une certaine prééminence de l’homme, ou du masculin, constatée par le fait de la création originelle de l’homme seul ; enfin, l’idée d’une pensée première du Créateur de créer l’homme et la femme ensemble. Premier temps de la réponse Il a voulu deux êtres. Il a voulu en effet qu’il y eût d’emblée égalité dans la créature et qu’il n’y eût pas de femme sortie de l’homme, de femme qui passât après l’homme. »24 L’idée de pensée première du Créateur vient donc affirmer l’idéal d’égalité entre l’homme et la femme. Mais, continue Lévinas, cela n’était pas tenable […] cette indépendance initiale des êtres égaux aurait été probablement la guerre. Il fallait procéder non pas en stricte justice, qui, elle, exige en effet deux êtres séparés ; il fallait, pour créer un monde, qu’il les eût subordonnés l’un à l’autre. »25 Nous comprenons que la création originelle du Deux n’aurait pas permis une entente satisfaisante entre les hommes et les femmes, car cette égalité de fait les aurait éloignés l’un de l’autre, chacun ayant les ressources suffisantes pour assumer leur séparation. Cette égalité naturelle aurait engendré une confrontation horizontale trop symétrique dont le résultat aurait été en contradiction avec le but de leur création. Car si le but est l’égalité, il faut qu’elle puisse être une égalité unifiante ou, du moins, qui découle d’une relation soutenue et la préserve. D’où l’introduction d’une inégalité originelle, d’une différence spécifique qui engendre une dépendance de l’un envers l’autre, une dépendance qui tend à les rapprocher 22 C’est même peut-être le devoir de chacun. On trouve en effet cette notion dans la formule talmudique qui énonce que Tout Israël est lié », c’est-à-dire que tous les Juifs sont liés les uns aux autres, responsables les uns des autres – littéralement, la formule hébraïque dit d’ailleurs, pour souligner le rapport d’ unité » entre les uns et les autres Tout Israël sont liés l’un à l’autre. » 23 Traité Berakhot 61a. 24 Ibid. 25 Lévinas E., Du sacré au saint, op. cit., p. 142. l’un de l’autre26. Cependant, comme le précise Lévinas, il fallait une différence qui ne compromette pas l’équité ». Il fallait donc une dépendance liée à un aspect secondaire de leur humanité. La différence sexuelle joue ce rôle. C’est l’opération d’ […] une différence de sexe ; et, dès lors, une certaine prééminence de l’homme, une femme venue plus tard et, en tant que femme, appendice de l’humain. »27 Ainsi, le point de dépendance étant sexuel, c’est-à-dire, selon la version qui tient que côté » signifie queue », secondaire par rapport à l’humain, il ne remettrait pas en cause l’égale participation de l’un et de l’autre à l’humanité. Pour celui qui dit queue », il existerait bien une dépendance de la femme par rapport à l’homme, mais cette dépendance se situerait à un niveau infrahumain, c’est-à-dire à un niveau simplement physiologique et psychologique, et sa fonction serait la facilitation d’une vie commune. Cependant, quant à leur humanité, en tant qu’esprits ou êtres pensants et donc abstraction faite de leurs caractéristiques sexuelles, ils conserveraient une égale nature. Autrement dit la hiérarchie qui les relierait étant secondaire, ils pourraient justement vivre, sereinement, un échange humain en réelle égalité. La lecture de ce passage de la Guemara par Emmanuel Lévinas procède donc de trois thèses principales l’égalité de valeur entre l’homme et la femme, soulignée par la procédure de création de la femme à partir de la personne humaine ainsi que par l’idée d’un des deux contradicteurs de dire qu’ils étaient au départ deux visages » ; le caractère secondaire et infrahumain de la différence sexuelle ; la nécessité de la hiérarchie sexuelle ou de la dépendance pour asseoir une relation stable entre l’homme et la femme à un niveau proprement humain, celui de la relation entre 3. Les objections Nous formulerons plusieurs objections à la lecture de Lévinas 1. L’idée que la différence entre l’homme et la femme puisse être une différence secondaire, inessentielle, fait difficulté, non seulement en tant que telle, mais surtout par rapport à l’enseignement du Talmud et du texte biblique. Cette idée établit en effet que le lien hommefemme, au sens de masculin et féminin, est une caractéristique qui met en relation les êtres de sexes opposés par l’intermédiaire d’une attirance triviale, voire vulgaire le désir, en tant que recherche égoïste du plaisir. E. Lévinas commente ainsi ce type de relation homme-femme Ils ont autre chose à faire qu’à roucouler […] La relation libidineuse par elle-même ne contiendrait pas le mystère de la psyché humaine. »29 Le rapport entre masculin et féminin en tant que tel est ici compris comme cette attraction instinctive ou pulsionnelle dite libidineuse », qui agit sur les êtres mais qui, par elle-même, est triviale et dégradante pour l’humanité de l’homme. Elle s’apparente à l’instinct sexuel animal. Elle procède comme une force naturelle aveugle, purement physique, visant une 26 Notons que cette explication, selon laquelle la femme a été créée à partir d’une partie de l’homme » plutôt qu’indépendante d’emblée, pour éviter une indépendance radicale génératrice de conflits et pouvant mener à une séparation complète entre les deux êtres sexués, est une explication traditionnelle. L’originalité de Lévinas consiste à dire ici que le critère de la dépendance, la différence sexuelle, est secondaire. 27 Lévinas E., Du sacré au saint, op. cit., p. 142. 28 D’autres réflexions sont jointes à celles-ci dans l’article de Lévinas, mais elles ne font qu’encadrer de façon périphérique cette lecture du débat » de la Guemara. 29 Lévinas E., Du sacré au saint, op. cit., p. 135 et p. 137. satisfaction sensible dénuée de toute construction d’un sens. C’est pourquoi elle est appelée à être surmontée. Et elle ne diffère de l’instinct animal que sur un point négatif alors que l’instinct animal produit la perpétuation de l’espèce, l’attirance sexuelle humaine est détachée du souci de reproduction. Elle fonctionne comme une recherche exclusive de plaisir et vise l’apaisement de cette énergie libidineuse par les ressources de l’érotisme. Le seul enjeu de sens serait alors dans l’effet de rapprochement des êtres que cet artifice peut induire. Liés les uns aux autres et dépendants sur ce plan naturel, ils pourraient par là même, mais sur un autre plan, nouer d’autres types de relations, plus élaborées, plus spirituelles », c’est-à-dire fondamentalement asexuées. Il apparaît ainsi que les relations proprement humaines existeraient indifféremment et indistinctement entre hommes et femmes ou entre hommes. Au niveau humain ou ontologique, l’idéal de relation entre l’homme et la femme serait de même nature que l’idéal de relation entre hommes dans la fraternité, par exemple. Or, peut-on soutenir que la relation qu’un homme entretient avec sa femme soit d’une nature équivalente à celle de la relation idéalement fraternelle que ce même homme entretiendrait avec ses collègues de l’Université, hommes ou femmes ? Ce qui se dévoile dans l’intimité sexuée du couple ne serait-il qu’une dimension triviale ? N’est-il pas pensable que dans la sexualité même une dimension plus intérieure et plus fondamentale pour l’humanité soit en jeu ? 2. Nous avons vu que la justification de la création de la femme serait de permettre un lien de dépendance qui fasse que l’attirance persiste entre les êtres, et qu'hommes et femmes ne vivent pas dans une égalité tragique ayant pour effet de les opposer comme deux forces indépendantes l’une de l’autre. L’homme dominerait donc la femme à ce niveau de la relation pour le bien » du lien, c’est-à-dire pour que la femme ne se rebelle pas, pour qu’elle soit contrainte de lui rester soumise. Et cette soumission engendrerait une possibilité de relation autre, vraiment humaine, plus facilement réalisable qu’entre hommes, car entre hommes la même difficulté ressurgirait du fait de l’égalité première. Cependant, sur un plan logique, il n’est pas évident que la dépendance rende la relation humaine entre l’homme et la femme plus aisée. La domination pure et simple, si les individus n’accèdent pas à la considération de l’autre en tant qu’ être humain », présente tout autant un risque majeur, comme le montre la réalité. En quoi donc la dépendance favoriserait-elle une relation authentique, continue et stable, puisque celle-ci reposerait, comme toute relation humaine, sur la bonne volonté des acteurs ? Ou encore, en quoi la perversion » de la relation serait-elle plus à même d’entraîner une relation réelle que la relation intermittente ? Difficile de voir là, dans cette dépendance hiérarchique, une promesse de plénitude. 3. Si la distinction homme-femme est pensée en référence au système pulsionnel, au désir en tant que recherche de satisfaction et, ici30, comme recherche du plaisir, on ne voit malheureusement pas en quoi cela pourrait renforcer le lien d’un homme avec une femme. La psychanalyse, ici entendue comme science qui constate des faits humains, ne procède-t-elle pas, dès son origine, de cet étonnement face au fait difficilement compréhensible que, précisément, l’homme ne trouve pas une satisfaction à sa mesure avec la femme. La célèbre phrase de Lacan, il n’y a pas de rapport sexuel chez l’être parlant », qui propose une formulation définitive et logique de ce constat, vise justement cette faille l’attirance, qui devait réunir, rate son but et le repousse tout autant. 4. Sur un autre plan, la difficulté principale réside dans l’analyse des textes 30 E. Lévinas ne distingue pas, comme la psychanalyse le fait en détail, la recherche du plaisir, la pulsion, la libido et le désir. talmudiques et bibliques. Car ce passage de Berakhot 61a est lui-même une interprétation des versets du début de la Genèse, dans deux passages principalement. Or, l’économie interne de ces versets, indépendamment du débat talmudique qui y trouve sa source, est elle-même très complexe. Il est cependant possible de dégager un élément central d’une analyse de leur composition la distinction homme-femme chez l’homme n’est pas du même ordre que la distinction mâle-femelle chez les animaux, et il ne paraît donc pas envisageable de comprendre cette distinction en termes d’instinct ou de pulsion triviale, au sens d’une attirance sexuelle et érotique, ou d’un simple désir d’accouplement. En effet, un premier verset, à la fin du premier chapitre du texte biblique, énonce Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu Il le créa. Mâle et femelle Il les créa. »31 Or, dans ce premier chapitre de la Genèse, les animaux ont déjà été créés et il n’est pas précisé à leur propos qu’ils furent créés mâles et femelles, car cette distinction n’est pas signifiante chez eux, alors qu’elle est pourtant bien réelle et permet même la perpétuation des espèces. Par conséquent, lorsque le texte biblique précise, à propos de la création de l’homme, que mâle et femelle Il les créa », ce ne peut être simplement pour signifier qu’il y a des hommes et des femmes et qu’entre eux existe une attirance mais que celle-ci est secondaire. Et même en supposant que secondaire », chez l’homme, ne soit pas réductible à insignifiant ou sans importance, il reste que la distinction mâle-femelle est mise en exergue de manière telle pour l’homme qu’il ne convient pas de la rabattre sur une attirance purement instinctuelle qui aurait sa fin en dehors d’elle-même. Le sens simple du verset est bien que la distinction du masculin et du féminin est chez l’homme une distinction à la fois radicale et essentielle, qui doit trouver une signification en tant que telle. Ce n’est qu’à partir de ce point que le débat » entre les deux Amoraïm de la Guemara pourra prendre forme. 5. Sur un plan strictement talmudique maintenant, il apparaît que l’interprétation qu’E. Lévinas propose du débat » talmudique manque de consistance. Car un débat doit reposer sur un véritable clivage. Or, pour notre philosophe, la lecture de celui qui dit visage » consiste à dire que l’homme et la femme sont parfaitement égaux car ils furent d’emblée créés comme tels, l’un derrière l’autre. Mais si l’on s’en tient à cette thèse, on ne peut pas dire qu’il y ait réellement débat » avec l’autre partie, celle qui dit queue », car alors les deux Sages ne se situent pas sur le même plan l’un – celui qui dit visage » – parlerait de l’égalité de valeur entre l’homme et la femme, tandis que l’autre – celui qui dit queue » – d’accord sur ce point, parlerait de la distinction du masculin et du féminin comme d’une distinction secondaire dans l’ordre de l’humain. Finalement, on aurait plutôt là l’approfondissement d’une thèse unique, en deux temps, qui établit d’un côté la notion d’égalité fondamentale, de l’autre l’aspect inessentiel de la dépendance. Il n’y a là aucune contradiction entre les deux temps. Dans la logique même de Lévinas, pour qu’il y ait vraiment débat », il aurait fallu que celui qui pense visage » soutienne en outre, à l’inverse de l’autre, que la distinction du masculin et du féminin n’a rien de secondaire ni de trivial, mais fait sens chez l’être humain, c’est-à-dire que la tension de la dualité sexuelle constitue un enjeu central de la condition humaine. Mais, comme on l’a dit, E. Lévinas n’emprunte pas cette voie possible. Pourquoi ? Aurait-ce été trop osé d’accorder une centralité à la dimension sexuelle ? Ou encore, plus subtilement, est-ce la difficulté à considérer une forme de dépendance non substantielle qui fait reculer devant le schéma d’une secondarité de la femme ? 6. Sur un plan esthétique, une objection fondamentale concerne le manque d’attention portée par Emmanuel Lévinas aux termes employés par Rav et Shmouel le visage » ou la 31 Genèse 1, 27. queue ». Or ces termes sont précis, signifiants et évocateurs. Lorsque l’on parle de visage », on se situe à un niveau de signification à mettre directement en rapport, comme le fait la guemara Ketouvot, avec le mariage. Du côté de la queue », la problématique est bien différente on doit au minimum prendre en compte l’aspect choquant et provocateur de la proposition, sans réduire l’image à une une articulation mineure de l’humain », ce qui est certes bien-pensant mais apparaît comme le refoulement de ce qui fait pourtant le sujet même du motif. 7. Un passage du Traité Ketouvot 8a – nous l’avons déjà mentionné – reprend de manière indirecte ce débat entre Rav et Shmouel. Il paraît indispensable de compléter l’analyse de notre passage par cette autre discussion, qui traite des bénédictions du mariage et se conclut sur l’idée que la version retenue par la Guemara est celle du visage ». Ce choix, dans ce contexte, doit nous fournir une indication sur le sens de cette version. D’autre part, d’après cet autre passage de la Guemara, il faut comprendre que même pour celui qui dit visage », le verset de Genèse 1, 27, mâle et femelle Il les créa », doit être compris comme faisant référence à une pensée première du Créateur », qui réalisa par la suite l’homme sous une forme unique, androgyne, où homme et femme étaient collés dos à dos. L’intention de les créer Deux n’a donc pas été immédiatement réalisée32. Il faudrait donc en outre analyser ce que signifie ce déplacement pour celui qui dit visage ». Nous rappelons que cette idée était intervenue dans la guemara Berakhot à propos de l’enseignement de celui qui disait queue ». Sans doute l’opposition du Un et du Deux ne doit-elle pas être considérée de la même façon pour Rav et pour Shmouel. Par ailleurs, si l’on suit de près le texte biblique lui-même et son commentaire par Rachi, on constate que l’option du visage » est beaucoup plus mise en exergue ; même si l’option queue » est possible, elle apparaît plus éloignée du sens contextuel. Et même lorsque la difficulté du verset exige un sens plus paradigmatique », dit midrachique », c’est-à-dire plus éloigné du contexte, Rachi évoque les deux visages », mais pas la queue » – en réalité, il laisse ouverte cette seconde possibilité de lecture, mais sans la rendre explicite, car justement aucune allusion n’y est faite dans les termes des versets bibliques. Nous indiquons ces éléments pour montrer comment, selon les règles de la pensée talmudique, l’étude d’un sujet se construit, par confrontation de passages talmudiques et en contrepoint du texte biblique. Ignorer ce mode d’approche risque de faire perdre de vue la pensée des Sages. 8. Enfin, Emmanuel Lévinas, dans sa lecture talmudique, n’insiste que sur les idées philosophiques » contenues dans les deux options visage » ou queue ». La dimension d’injonction pratique est absente de son analyse. D’abord, cela limite la compréhension possible du débat ». Mais en outre, ne pas appréhender le texte biblique sous sa forme de prescription et d’exigence pratique pose une difficulté majeure. S’il y a une pensée talmudique, celle-ci est tournée vers l’action, la concrétisation. Laisser penser que la controverse n’est que philosophique serait trompeur. Par exemple, lorsque E. Lévinas établit que l’idée qu'hommes et femmes sont égaux est l'un des enjeux fondamentaux de ces textes, il ne montre pas en quoi cela est pensé comme un enjeu pratique. Certes, il veut prouver que le texte biblique, et donc le Créateur, puis les rabbins et la tradition juive ne sont pas misogynes – ce qui aurait pu ne pas être évident à la lecture naïve des versets. Mais rectifier une mauvaise lecture possible, ou la prévenir, ne saurait suffire à rendre compte du débat » 32 C’est la manière dont Rachi lira le passage. Les Tossefot commentateurs médiévaux du Talmud, figurant comme Rachi dans les éditions courantes, au contraire, proposeront une lecture où celui qui dit visage » n’a pas besoin d’introduire la distinction en question pensée première du Créateur » d’un côté, action concrète » de l’autre. talmudique. 4. Proposition de re-lecture Nous proposerons donc une autre lecture de la controverse, qui puisse intégrer ces données. Commençons par reprendre les termes employés deux visages » d’un côté, la queue », de l’autre. Dire que la femme a été créée à partir de la queue » de l’homme, voilà qui est pour le moins osé, choquant même. C’est de là que nous devons partir. Que peut signifier la queue » ? Trois choses au moins. Premièrement, cela indique que la femme est un être dont l’essence dépend entièrement de l’essence de l’homme. Au départ, elle ne semble justement pas avoir de visage indépendant, c’est-à-dire d’identité propre. Tout son être va être tiré de l’homme et bâti »33, dit le verset biblique, par rapport à lui. En ce sens déjà, la distinction homme-femme est plus radicale que la distinction secondaire envisagée par E. Lévinas. Deuxièmement, la queue » est cette partie du corps animal qui précisément manque » chez l’homme. Par conséquent, la femme serait ainsi construite à partir de la transformation de la part animale de l’homme. En un sens, c’est donc la femme qui permet à l’homme d’accéder à son humanité véritable, de sortir de l’animalité, et ce, au niveau du corps. Mais en même temps, on peut dire qu’en tant que la femme est comme la trace de la part animale de l’homme, le risque est toujours présent d’une relation encore animale », justement – en laissant pour le moment cette notion encore indéfinie. Si l’on nomme maintenant animalité » l’état de l’être dans sa complétude inconsciente, ou dans sa pesanteur inconsciente, l’être-là de l’être, nous pourrions dire que le rapport de l’homme à la femme peut être envisagé à la fois comme reste de cette part inconsciente de désir en tant que pulsion narcissique, ou fantasme de l’Un, mais aussi comme dépassement de cette part du désir, en tant que relation duelle, au-delà du moi-Un, car la femme aura été ce qui a justement rendu possible l’accès de l’homme à l’humanité, en lui supprimant la queue », c'est-à-dire la complétude animale. Troisièmement, à un niveau plus métaphorique, la queue » ressemble à l’organe sexuel, mais sous une forme sinueuse. Le serpent en est l’image animée. C’est-à-dire que la droiture, qui est comme la trace de l’absolu dans le désir car elle est la forme minimale du non-naturel – en effet, le trait droit, inexistant dans la nature, peut donc représenter a minima ce qui distingue l’humain au sein du monde naturel, en a été affaiblie et qu’elle ressurgit sous la forme de l’identification au mouvant, à l’être et, par suite, à l’image de la toute puissance chaotique, de la transgression et, finalement, de la mort. Dès lors, on comprend que l’enjeu du rapport à la femme est similaire à celui du rapport à la jouissance, ou connaissance », et à l’expérience de la faute. Ainsi, celui qui dit queue » considèrera que la relation hommefemme, loin d’être seulement un moyen pour faciliter les relations humaines désexualisées, constitue un enjeu central de l’humanité de l’homme, en tant qu’elle exige qu’à travers sa femme, l’homme se confronte à sa propre part d’ animalité », c’est-à-dire de narcissisme, ou de désir au sens large, pour la convertir en ce que nous appellerons ici la conjugalité34. C’est cette exigence de conjugalité qui est lisible dans le verset de Genèse 1, 27 – À l’image de Dieu Il le créa. Mâle et femelle Il les créa. » – ainsi que dans la complexité textuelle du 34 Nous reprenons ici le terme proposé par Éric Smilévitch dans un texte non publié, intitulé Une chair une. chapitre 2, qui débute par Le Dieu Souverain dit il n’est pas bon que l’homme soit seul »35 et se termine au verset 24 par C’est pourquoi l’homme abandonnera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, ils seront une chair une. » Cette exigence est explicitement définie dans un autre passage du Talmud, Traité Yevamot 62b, où l’on apprend qu’un homme a l’obligation de vivre avec une femme », en dehors de toute autre nécessité, par exemple celle d'avoir des enfants. Cela signifie que la spécificité de la relation homme-femme accomplie, en tant qu’humaine, n’a rien de commun avec les relations humaines entre hommes, ou entre femmes. C’est la confrontation d’un homme avec une femme et, à cette occasion, le travail de mise à l’épreuve de son désir qui doivent lui faire accomplir sa propre humanité. L’enjeu est donc précisément de hisser la relation homme-femme en tant que telle au-delà de la simple relation d’objet ou de satisfaction du manque à être », dans une confrontation qui s’appellera Adam, humanité, à l’image de Dieu. Pour celui qui pense queue », le problème de l’intention première du Créateur de les créer immédiatement Deux mais de l’avoir fait d’abord Un peut être compris d’après le principe selon lequel sof maassé be ma’hchava tékhila »36 – la fin de l’acte est présente dans l’intention ». Ainsi, le projet primordial de les créer Deux est en réalité le but à rechercher. L’homme pourrait avoir tendance à rester figé à l’intérieur de son propre désir, de sa propre satisfaction. C’est aussi cela que l’on appelle animalité » ou narcissisme. Le but est que l'homme accède, grâce à une femme, au Deux, à une vie qui intègre l’au-delà de son propre désir, mais à partir de la problématique de son désir sexuel, sans qu’il soit confronté à un principe de rivalité. Là est peut-être le point central le rapport homme-femme serait donc le rapport humain par excellence, nécessairement sexué, dégagé, d’un côté, du narcissisme et du fantasme de l’unité animale de l’être, et de l'autre, de la négation comme de la répétition de soi, à travers un autre homme. Ainsi, la rencontre avec un semblable ne pourrait logiquement intervenir que dans un second temps, une fois élaborée la relation de l’homme à sa propre humanité, sous la forme de l’être sexuellement différent. Car pour reconnaître en son semblable un être qui ne soit pas un rival, il faudrait auparavant pouvoir s’être constitué comme sujet, comme Adam, c’est-à-dire assumer le Deux du rapport homme-femme, ou la distinction sexuée comme fond essentiel de l’humain. Dans ce contexte l’enjeu, on le voit, n’est pas d’établir une égalité entre l’homme et la femme, mais une relation qui soit fondatrice de l’identité humaine en tant que telle. Quel est donc le débat avec celui qui dit deux visages » ? Pour lui, l’enjeu de la création de la femme n’est pas de sortir du fantasme de l’Un. L’humanité, pour lui, est d’emblée pensée comme double et duelle deux visages, deux modes d’être. L’exigence n’est pas la constitution de soi dans le Deux au-delà du Un, mais la constitution de l’humanité comme telle à travers la conjonction, le face à face et la présentation des deux visages, c’est-à-dire des deux manières d’être humain. L’enjeu, ici, n’est pas le passage de l’animal » à l’humain mais, au sein de l’humain, le positionnement différentiel des visages l’un face à l’autre, l’heureuse conjonction des deux faces. La femme incarne ici une dimension singulière qui n’est pas simplement la limite de la fonction narcissique du désir humain, mais un visage en soi. Dès lors, la conjugalité a aussi pour enjeu l’unification des faces, non pas au sens où elles se fondraient en Un être impossible, mais au sens de leur positionnement face à face, c’est-à-dire dans la possibilité de leur regard mutuel assumé. L’unité effective qui résulterait de l’effort de conjonction de l’homme et de la femme serait en un sens accompli de façon extérieure à eux dans l’enfant, 35 Genèse 2, 18. 36 Extrait du poème Lekha dodi » chanté le vendredi soir pour accueillir le Chabbat. qui réalise l’unité des deux37, unité réelle, au sens où justement elle advient comme un événement qui les dépasse tous deux, qui leur arrive. L’unité du Deux est alors bien le sens véritable de ce Deux, mais accompli comme au-delà, comme réel, c’est-à-dire comme advenant de l’extérieur et échappant au fantasme, comme si la vérité Une du Deux n’était ici vécue que comme événement. Aussi, pour celui qui dit deux visages», la pensée première du Créateur » de faire deux êtres séparés puis la réalisation effective » de les avoir d’abord faits dans un être à deux visages, androgyne, l’homme et la femme collés dos à dos, signifie donc autre chose que pour celui qui entend queue ». L’enjeu n’est pas simplement le passage logique du moi au Deux, du désir à la conjugalité, mais, peut-être, de donner à l’exigence de conjugalité une chair, une vie celle de l’exercice du désir. Au sein de la conjugalité, la problématique sexuelle n’est plus d’ordre narcissique, elle ne constitue plus la dimension fantasmatique de l’être comme pour celui qui dit queue », mais la dimension d’effectivité et de concrétisation du lien entre les deux êtres. 5. Conclusion Finalement, la thèse lévinassienne concernant la fonction inessentielle de la différence sexuelle s’est révélée être pour nous un présupposé erroné du philosophe. Car cette vision, quelle que soit la version envisagée par la Guemara, visage » ou queue », n’est lisible ni dans le texte biblique, ni dans le texte talmudique. Ce présupposé apparaît comme un reste d’idéologie puritaine, qui voit dans la sexualité une figure nécessaire de l’égoïsme trivial et charnel, donc, au fond, de la faute ». Là réside une part du malentendu relatif aux lectures talmudiques », à la différence de l’étude talmudique. Certes, ces lectures » sont soucieuses de dégager la dimension proprement théorique de la tradition juive, avec respect et considération, mais sans adopter les principes de l’étude juive. Ces principes requièrent un investissement complet de la personne et un abandon des approches partielles et contingentes, par pur goût intellectuel ou par besoin obscur de se ressourcer dans une tradition très sensée ». Ils exigent que l’on reconnaisse la complexe et profonde radicalité de pensée des Sages et que l’on assume de s’en faire le réceptacle zélé. Ainsi apprend-on, à leur école, à penser soi-même et se libère-t-on des préjugés trompeurs, des discours bien-pensants et du confort vain des positions établies, pour s’attacher à ce que l’on appelle le joug de l’Étude » et tenter d’apporter sa contribution, sa part », au monde de la Torah d’Israël. 37 Rappelons que sur le verset de Genèse 2, 24, ils seront une chair une », Rachi commente Chair une c’est l’enfant, formé par les deux, et par là ils sont faits une chair une. » LaBible révèle que des serviteurs fidèles de Jéhovah se sont sentis à bout de force ( 1 Rois 19:4 ; Job 7:7 ). Cependant, au lieu d’abandonner, ils ont demandé à Jéhovah de les soutenir. Ils n’ont pas été déçus, car notre Dieu « donne de la force à celui qui est épuisé » ( Is. 40:29 ). Malheureusement, certains pensent que